Une dernière bien (trop) arrosée

Après avoir repris la course en début d’année, après avoir relancé la machine sur deux 10k sympathique, après avoir relevé le défi du marathon, je souhaitais clôturer cette année de « relance » avec la course qui me tient à cœur, celle sur laquelle je cherche chaque année à repousser mes limites : la No Finish Line.

Qu’est-ce que la No Finish Line ? 

La No Finish Line est un évènement solidaire qui existe depuis 1999 à Monaco. C’est une « course », ouverte à tous, licencié ou non, coureurs et marcheurs, dans le but d’être accessible au plus de gens possible. Car avant tout, c’est un évènement solidaire de grande ampleur. Il s’agit de courir ou marcher sur un circuit d’environ 1 400 mètres, ouvert 24 h/24 durant 8 jours, autant de fois que désiré et autant de kilomètres que souhaité. Les participants sont donc libres de participer 15 minutes (grosso modo le temps de faire un tour en marchant normalement) ou de courir un marathon par jour… Libre aussi de faire cela seul, ou en équipe. Grâce aux inscriptions, aux donateurs et aux sponsors, pour chaque kilomètre parcouru, l’association Children & Future reverse 1 € pour soutenir des projets en faveur d’enfants défavorisés ou malades.

Cette année, nous sifflons le 20e anniversaire de l’évènement. J’y participe quasiment tous les ans depuis 2007, dépassant à chaque fois la barre des 100 kilomètres, sauf en 2013 (seule année où je n’ai rien fait, car nous étions en voyage à l’autre bout du monde), en 2009 je n’ai fait que 36k, mais c’était 2 mois après m’être fait opérer des ligaments croisés, et en 2014 j’ai arrêté après le premier weekend avec 40 bornes au compteur, faute à une blessure contractée lors d’un match de basket. Mon record est de 253 km en 2016. Et depuis 2017, je participe à la course des 24 h, où mon record est de 110k en 24 h l’an dernier.

Cette année, je me suis lancé avec un double objectif : faire 200 bornes (un bon chiffre pour le 20e anniversaire), et battre mon record des 24 h, en faisant 120 bornes. Bref, que du sympathique, mais rien d’insurmontable, surtout vu la préparation de cheval que je me suis farci pour le marathon début novembre.       

Rien de simple au bout des pieds

Et pourtant, malgré une bonne prépa, rien ne va être simple. Dès le premier jour, alors que je suis allé marcher 2 heures avec ma fille pour l’ouverture du circuit, je me fais une ampoule au bout du petit orteil du pied droit. Un truc complètement débile, et évidemment super mal placé. Évidemment, c’est sur mon « mauvais pied », celui qui a m’a forcé l’arrêt total du sport en fin d’année dernière, faute à deux métatarses qui se sont déplacés lors d’un mauvais appuie lors d’un trail durant l’été 2018, blessure que je n’ai évidemment pas soignée, et largement aggravée lors de la No Finish Line 2018, finissant les 24 h sur une seule jambe. Tout est rentré dans l’ordre, mais la zone reste super sensible, mon appui toujours chelou, et soumis au port de semelles orthopédiques. Et du coup, le pied chauffe très facilement lors de mes longues sorties. Et là, il n’a pas chauffé, mais je m’en tire avec une ampoule débile, mais qui se rappelle à mon bon souvenir à chaque pas.

J’ai traité l’ampoule comme il se doit, en la perçant avec une précision chirurgicale pour en faire sortir le liquide. Bref, j’ai fait au mieux. Sauf que le lendemain, je suis allé courir 20 bornes, et en enlevât la chaussure, j’ai découvert qu’une nouvelle ampoule s’était formée en dessous de l’ampoule que j’avais percée. Que du bonheur en somme.

Je vais trainer ce problème pendant de nombreux jours, espérant chaque matin en me levant que la douleur s’estompe pour le jour du départ des 24 h, car sinon, ça risquait de compromettre pas mal mes chances. J’ai déjà fait l’an dernier toute la course en trainant des douleurs plantaires, ça m’a bien planté, et je n’avais pas vraiment envie de revivre ça une seconde fois.

Rien de simple dans le ciel

Mais ce problème plantaire n’est rien en comparaison de la « douleur du ciel » que l’on va subir pendant 8 jours. L’horizon monégasque va se couvrir pendant toute la semaine de nuages noirs qui vont pleurer quasiment sans discontinu pendant toute la durée de l’épreuve. Si le ciel était chargé, mais clément, pour l’ouverture de la course le samedi à 14 h il n’en sera rien pour le reste de la semaine. Le ciel chargé de nuages noirs va déverser des trombes d’eau sur la Principauté de Monaco quasiment tous les jours. Des averses bien souvent, parfois de gros seaux bien chargés, parfois aussi des accalmies salvatrices, permettant aux courageux de ressortir leurs baskets afin de profiter de cette bénédiction passagère.

Pour ma part, l’eau n’est pas un problème. Pour aller marcher entre midi et deux, un bon kway est suffisant et les averses restaient supportables. Et puis quand on se lance dans le running, sport en extérieur par excellence, on sait très bien que l’on doit être prêt à se mouiller, car la météo est par nature changeante, surtout en ces périodes de dérèglement climatique. Et puis un peu de pluie, ce n’est au final que de l’eau, soit 80 % de notre organisme quoi.

Ma détermination est donc restée intacte, et j’ai suivi mon plan à la lettre, accrochant 80 kilomètres du samedi au jeudi, afin d’être pile dans le timming pour mon objectif de 200 k. Une petite marche pause repas lundi, un long footing le mardi, en profitant du jour férié, une petite marche pause repas mercredi et jeudi, une nocturne mercredi soir avec ma chère et tendre, et j’ai même pu m’octroyer une petite journée de repos le vendredi, afin de faire disparaitre les petites douleurs qui se sont insinuées dans mes jambes, y compris au niveau de mon ampoule inopinée.

Année exceptionnelle, temps exceptionnel

Sauf que cette année, ce problème de pluie va vraiment être un problème, car elle ne s’arrête pas. Des No Finish Line pluvieuses, on en a eu, des tas, ce qui est fort normal pour une compétition se déroulant un mois avant Noël, en plein cœur de l’automne. Si les organisateurs avaient monté leur truc au mois d’aout, on n’aurait pas eu tous ces problèmes.

Je me souviens d’une No Finish Line où il a fait particulièrement froid. C’était encore sur l’ancien circuit, au niveau du port, en configuration « digue ». Il fallait emprunter cette longue digue, faire demi-tour tout au bout, puis revenir pour la seconde portion du circuit qui s’étendait jusqu’au Stars n bars. Cette digue, c’était un avant-gout de l’enfer, surtout quand il faisait froid et qu’il pleuvait. Je me souviens d’un soir, où j’étais allé pour marcher, et je me suis retrouvé, peu avant minuit, seul au bout de cette digue, grelotant de tous mes os. En fait, il ne manquait plus qu’un iceberg au milieu du port, et un banc de pingouin barbotant sur le côté. Mais là encore, deux jours plus tard, point de pluie, et retour d’un temps, qui sans être exceptionnel non plus, était déjà plus clément.

Cette année, rien. De la pluie, et encore de la pluie. Et toujours de la pluie. Des conditions déprimantes qui ont rebuté nombre de marcheurs/coureurs. L’organisateur avouera que chaque jour de pluie, c’est environ 15 000 km (en totalité évidemment) de moins. Et l’équivalent en euro donc pour l’association Children and Future. Malheureusement, le plus dur était encore à venir, car une alerte orange était lancée pour tout le weekend, forçant les organisateurs à fermer la digue dès le vendredi soir. Le circuit était donc amputé de moitié.

Une course, quand bien même

Et pourtant, samedi matin, ils étaient fort nombreux les runneurs, les marcheurs, tout un panel de gens courageux et solidaires, pour se lancer dans cette épreuve aussi sympathique qu’éprouvante des 24 h. Je suis arrivé une heure avant le top départ, sous une pluie discontinue. J’avais échafaudé divers scénarios en fonction du déroulé de la course, heures de repos, plages de sommeil, pause repas, etc., et en voyant les trombes d’eaux qui tombaient, je savais déjà que mes plans avaient du plomb dans l’aile, et que tout allait dépendre de ma capacité à bien avancer sous cette flotte, et de mon mental à supporter de courir trempé des heures durant. Je regrettais déjà fortement d’avoir choisi un déguisement de spiderman, pensant que venir en Aquaman était nettement plus approprié.

Rapidement, nous allons apprendre que le départ était retardé d’une demi-heure. La première explication, les trombes d’eau qui tombent, et qui devraient cesser rapidement. La seconde, plus officielle, c’était que le souverain monégasque se trouvait sur le circuit pour son apparition annuelle, et que l’organisation n’a pas jugé opportun de lâcher à ses Basques une troupe de fous furieux décidée à en découdre. Repoussé à 9 h 30, il sera ensuite encore repoussé d’un quart d’heure, le temps d’une inspection du circuit, afin de vérifier que tout était dans l’ordre.

Durant ce temps, le speakeur va nous expliquer les spécificités du parcours, réduit à un peu moins de 800 m. Il expose que la digue est fermée pour des raisons de sécurité, mais que l’organisateur se réserve le droit de l’ouvrir en fonction de la météo, mais aussi des conditions de sécurité sur le circuit, en cas par exemple de grosse affluence qui rendrait dangereux le déroulement de l’épreuve des 24 h. Je reste dubitatif quand à cette dernière affirmation, vu le temps, la grosse affluence, elle est plutôt sous les couettes avec un chocolat chaud, et certainement pas autour du chapiteau à courir dans les flaques d’eau.

Un début de course qui se passe bien. 

9 h 50, après un nouveau report, le top départ est lancé. La masse des coureurs charge sur le circuit à pas rapides, rapidement alourdis par toute l’eau qui va s’engouffrer dans les chaussures. Emporté par la foule, je démarre moi aussi assez rapidement. Contrairement aux années précédentes, je n’ai pas branché mon suivi runtastic. Pas envie d’entendre mon temps au kilomètre, qui va assurément être lent, et qui risque de me déprimer sévère. Je veux préserver mon mental autant que mes jambes, car la course va être très longue. J’adopte alors une musique tranquille (la BO de l’excellente série « The Mandalorian ») et c’est parti pour plus d’une heure de course. J’adopte rapidement un rythme lent, mais qui me permet d’avancer et de tourner sans trop de problèmes, et surtout sans douleur, et sans trop ressentir la pénibilité de la pluie.

Car l’avantage de ce circuit en mode réduit, c’est qu’à tourner dans les jardins autour de la mare aux canards, on ne ressent pas trop la pluie. Grâce aux arbres qui jouxtent une grande majorité du circuit. Grâce aussi au fait que l’on passe deux fois plus souvent dans le chapiteau, et que ces 70 m à couvert font le plus grand bien. Certes, on est quand même mouillé, notamment au niveau des pieds, faute à ces deux énormes flaques situées dans le virage de la petite descente de retour vers le pont et le chapiteau. Les premiers tours, on a tous consciencieusement sauté par dessus, mais au fur et à mesure que le temps passe, on a tous préféré l’option « désagréables pieds humides » à l’option « je me fais un claquage débile ». Le reste de mon équipement tient la route, et si je mouille de l’intérieur, c’est uniquement dû à la transpiration, et non à la pluie qui pénètrerait les couches que je me suis empilées avant le départ.

Mais qu’est-ce que c’est que cette idée à la con ? 

À la fin de mon premier run d’une heure, je suis plutôt pas mal. Certes, mon rythme n’est pas fou fou, mais physiquement et mentalement je suis bien. Je prends deux minutes de pause pour me restaurer, pour bien boire, puis je pars pour un tour en marchant, histoire de digérer et de relâcher tout ça. Une fois de retour sous le chapiteau, je change d’écouteurs afin de mieux m’enfermer dans ma bulle, branche la playlist Avengers, et c’est reparti pour une heure de trotinage !
Fin de ma seconde tranche de run, je retrouve une ancienne collègue de travail avec qui je discute en marchant. Comme à 11 h, je compte faire un tour en marchant, histoire de digérer les quelques mets engloutis sous le chapiteau, avant de repartir pour une dernière heure de running avant la première pause bouffe. Et chemin faisant, nous nous félicitons de pouvoir courir de la sorte malgré la pluie, avançant les « qualités » de ce parcours réduit. J’en viens même à dire qu’ouvrir la digue serait une bêtise, et que ça poserait plus de problèmes qu’autre chose.

Sauf que deux-cents mètres après avoir dit cela nous arrivons au niveau de la bifurcation de la digue, et là, stupeur, elle a été rouverte. Il est midi bien tassé, et la course vient de prendre un virage très compliqué.

Ma première réaction est assez primaire, et sans filtre : « mais qu’est-ce que c’est que cette idée à la con ? ». Oui, une idée à la con, vraiment. Ma collègue et moi, nous reprenons notre course, afin de ne pas se refroidir, et ça n’est pas peu dire tant ce changement de circuit va jeter un grand froid sur tout le monde. D’une part, tourner sur un circuit de 700 m, et tourner sur un circuit du double ne fait pas appel aux mêmes dispositions mentales. Surtout quand la partie en plus est la plus compliquée. Ouvertes aux quatre vents, enfin même aux trois-cent-soixante-douze vu ce qu’on va manger sur la truffe en soufflerie, nous allons prendre un vent délirant de 3/4 durant plusieurs centaines de mètres, avant d’arriver au bout et faire demi-tour. À cet endroit, il est compliqué de courir, surtout que la pluie vire à l’horizontale. Là où certaines parties du corps n’étaient qu’humides depuis plus de deux heures, en un seul passage sur la digue, nous sommes détrempés. Sans parler de la dangerosité liée au vent, les parapluies qui volent, au risque d’éborgner quelqu’un, et puis surtout, nous nous retrouvons face à une mer qui n’est pas vraiment accueillante.

Des questions, et de la soupe… 

Mon troisième run d’une heure va en prendre un coup. Il est 12 h 50 quand j’arrête les frais, et pars pour me changer et me restaurer…
Dans le vestiaire, je décompresse. Je viens de me changer, et pas le moindre centimètre de tissus sur moi n’était sec. Alors qu’il y a une heure, je me vantais d’être à peine humide. Le passage sur la digue a vraiment fait très mal. J’enfile un jogging vite fait, et part manger. Objectif : retourner sur le circuit à 13 h 30 maximum.

Alors que je m’attendais, comme les années précédentes à un bon plat de ravioli avec une sauce bolognaise bien huileuse, je me retrouve avec du poulet et des patates aux champignons. Ne mangeant pas la viande, et n’aimant pas les champignons, j’éconduis l’intégralité du plat, sous le regard incrédule de la fort sympathique bénévole préposée au service, et je me rabats sur un simple bol de soupe, qui a le mérite de bien me réchauffer. Je ne suis pas trop inquiet, entre le ravitaillement à disposition et le stock de pâtes de fruits et autres gels énergétique, je ne me fais pas trop de soucis niveau nutrition. Cette pause, c’est juste histoire de se détendre et de prendre un peu de chaleur avant de repartir. 

Autour de moi, ça discute, nombreuses sont les personnes à ne pas comprendre l’ouverture de la digue, à râler de la pluie. Seuls les plus aguerrit, notamment les coureurs des huit jours mettent de l’ambiance. Ça rigole, ça blague, ça se détend. Car si l’on ne contrôle pas le temps, l’humeur et la positive attitude, c’est de notre ressort à tous. L’ouverture de la digue est néanmoins au cœur de toutes les conversations, des questions soulignent l’incompréhension de cette décision, appuyée par nos expériences respectives qui tournent toutes autour des mêmes mots-clés : pénible, venteux, humide, et potentiellement dangereux.

Je termine rapidement ma soupe, un petit tour sur le téléphone, puis je retourne à mes affaires. Une barre Ovomaltine (c’est d’la dynamite), des fringues de running sèches, mes écouteurs… Il est 13 h 40, et c’est reparti, avec un peu de retard.

À peu de choses près…

Je ne vais pas rester sec bien longtemps, puisque dès le premier passage sur la digue, je suis déjà trempé. Je peste, j’invective l’organisation, le lance à tue-tête de grands « mais qui a eu cette idée à la con », accompagnés par des sourires crispés autour de moi. Car on est tous conscients d’une chose : la digue, alors que nous sommes toujours en alerte orange, c’est une très mauvaise idée.

C’est d’autant plus une mauvaise idée que désormais, les vagues montent plutôt haut. Au niveau des brise-lames du côté de l’héliport, l’écume monte jusqu’à la piste où nous courrons. L’inquiétude suit le même chemin, et me monte le long de l’échine. Je me demande combien de temps cette situation va tenir avant que quelqu’un ait l’idée de revenir en arrière… avant qu’un drame arrive. Mais cette inquiétude ne durera que l’espace d’un tour, puisqu’au passage suivant, je constate que les plots ont été remis un peu à la va-vite, et que la version courte du circuit est de retour. Ma « joie » ne dure pas, car je constate la présence d’un camion de pompier non loin du parking, ce qui signifie qu’un truc pas très sympa s’est déroulé soit directement sur la digue, soit pas loin. Une fois de retour sous le chapiteau, je pars à la pêche aux infos, et elle ne tarde pas à me parvenir : la digue a été refermée parce qu’une personne a été fauchée par une vague, et qu’elle aurait basculé de l’autre côté, tombant sur une voiture.

Plus tard, j’apprendrai que tout s’est joué à peu de choses. Mon inquiétude au passage sur la digue était partagée par nombre de personnes, si bien qu’au vu des vagues, la direction de course avait décidé de fermer la digue, à nouveau. Ils étaient en route pour le faire quand le drame est arrivé. À une ou deux minutes près, il ne se passait rien. D’un autre côté, elle a la vie sauve parce qu’une voiture a amorti sa chute (et a empêché que la vague l’emporte dans l’eau, ou sous un container). Du coup, à 30 centimètres près, elle est toujours vivante (avec de grosses fractures néanmoins). Comme quoi, à peu de choses près…

L’état de flow, sorti de nulle part

Conscient de pas être passé bien loin d’un truc dramatique, je mets quand même tout cela de côté, et continue ma course. Je me remets à courir, enfin à trottiner, vu mon rythme, je ne pense pas que le qualificatif de course soit vraiment approprié. Mais comme j’en croise d’autre qui font les 24 h et qui marchent, cela me donne un coup de fouet. C’est cool, j’avance, je progresse, je n’ai mal nulle part, et en plus, on est de retour sur le petit circuit, ce qui est nettement mieux pour mon rythme, mon mental et mon taux d’humidité. Je passe le bivouac, un morceau de saucisson, un verre de coca, je branche ma playlist de Queen d’une heure, et c’est reparti.

Une première chanson pour se mettre dans l’ambiance, puis je décolle. Littéralement. Et je me mets à chanter. Comme ça, naturellement. C’est du Queen, j’adore, et ça me booste. Je mime Freddy Mercury levant le poing sur les envolées de « Somebody to love », je me lance dans un solo d’air guitar du « Bohemian Rapsody », quelques pas de dance sur « killer queen », et évidemment, le bat la mesure avec mes mains sur « we will rock you ». Tout ça en courant, évidemment. Car je cours, je ne m’arrête pas. Je ne sens ni la pluie, ni le vent, ni mes pieds humides, rien. Il n’y a que moi, ma musique, et ce parcours que j’arpente désormais en automatique. Je ne me soucis pas non plus de gens, qui doivent me prendre pour un fou, un débile ou un barjot, un type qui galope et qui chante du Queen. Mais qu’importe, je suis dans ce qu’on appelle « l’état de flow ».

Alors pour celui qui ne suit pas trop les péripéties de tout ce qui s’est passé pour moi dans ces dernières années, je vous rassure : moi non plus. Mais j’ai quand découvert quelques petites choses sur le mental, le sport, dont le concept « d’état de flow », dont je vais vous parler juste ensuite après pas plus loin qu’en dessous. 

Mais avant, un petit refrain : 

She’s a Killer Queen
Gunpowder, gelatine
Dynamite with a laser beam
Guaranteed to blow your mind (Pa-pa-pa-pa)

(Anytime)

Ooh
Recommended at the price
Insatiable in appetite

Wanna try?

L’état de Flow, quoi que c’est ? 

L’état de flow est parfois aussi décrit, pour les anglophones, comme l’état où l’on est « in the zone ». Pour faire simple, c’est un état, généralement sportif, mais aussi créatif, dans laquelle est totalement immergée dans ce qu’elle fait, dans ce qu’elle est à ce moment-là. Totalement absorbé, tout son être est focus sur la tâche à accomplir. Le corps, le mental, les émotions, tout est fusionné dans votre activité, 110 % au service de ce que vous faites, au service de votre performance. Parfois, on parle d’état de grâce, parfois aussi d’euphorie. C’est un peu tout cela. Avec le retour du petit circuit, je suis reparti dans le rythme que je connais depuis ce matin. La musique, et le chant m’aident à déconnecter mon cerveau, afin de me plonger tout entier dans cet objectif de 120 bornes. Et je sais, avec ma prépa et mon plan de route, que tant que je cours, et que je n’ai pas mal, je suis sur la bonne voie. 

Cet état, je vais y être plongé pendant une grosse demi-heure. Jusqu’au moment où mon esprit va reprendre le dessus, et tirer la sonnette pour dire qu’il est temps d’aller boire. Car depuis le début de la course, je suis formaté sur un rythme assez clair : courir à la vitesse où je peux, pendant une heure maximum, puis marcher un tour ou deux pour me détendre, avant de repartir pour une heure. Boire toutes les demi-heures, manger toutes les heures. Passer au bivouac pour se plaindre qu’il n’y a pas de vin chaud. Une course de 24 h, c’est des cycles, et les miens sont très bien rythmés. 

Je reprends la course néanmoins, mais le rythme est moins soutenu. Je pense plus à la pluie, à mon pied droit qui chauffe un peu, au froid qui commence à tomber avec la nuit qui arrive, et moins à la musique. Du coup, je peine à enchainer les tours, je m’arrête un peu plus longuement au bivouac. Et surtout, je pense de plus en plus que la fenêtre du premier « repos dodo » arrive à grands pas. 

Un ultime tour qui ne viendra jamais.

Encore cinq tours. Encore trois tours. Encore deux tours… Voilà ce que je me répète en passant sous le chapiteau. Il est 16 h 30 bien tassé, et j’ai décidé qu’à 17 h j’allais prendre 2 h de pause. Dormir, me changer, me faire un grand café chaud, recharger les batteries physiques, mais aussi du portable et des écouteurs. Tel est le programme. Ensuite, retour sur le circuit à 19 h pour le repas chaud. Puis repartir malgré la pluie et le vent. Car c’est à la nuit tombée que se font les différences, c’est quand toi tu es sur le circuit, et que les autres ont lâché prise. C’est à partir de la mi-course, soit grosso modo 22 h que je m’autoriserai à regarder le kilométrage et le classement. Pas avant. 

Plus qu’un tour.

Au moment de pénétrer dans le chapiteau et d’attaquer cet ultime tour, je tombe sur mon paternel tenant un termos de café chaud. La première étape de ma pause est déjà là. Je m’arrête, nous discutons de la course et des conditions. Tout en buvant son café, bien moins mauvais que le jus de chaussette auquel j’ai eu droit après la soupe tout à l’heure, je lui explique mon programme, cet ultime tour, et mon état de forme, plutôt bien. Comme il a vu mon état de décomposition avancé à la fin du marathon au début du mois, il sait que je dis vrai. Le café fini, je lui donne rendez-vous après un nouveau tour… 

Sauf que je ne le ferai jamais cet ultime tour…

Ministre, et fin du jeu.

Le speakeur vient de monter sur l’estrade, et demande à tous les coureurs d’arrêter la course, afin d’entendre l’important message qu’il a à faire passer. Comme le ministre d’État se trouve juste à côté de lui, je me doute que cela n’est pas nous expliquer qu’il y aura du rab de frites au repas ce soir. Je reste là, avec mon père, à attendre que le circuit se vide, que l’ensemble des coureurs se rassemblent. Les bruits font état d’un arrêt pour la nuit, faute à la tempête. D’autres parlent d’une annulation totale de la manifestation. À ce moment-là, je repense à mon dernier passage dantesque sur la digue, à cette pauvre fille à l’hôpital. J’attends. Dans mon état d’esprit, ça ne peut pas se finir comme ça. Ils vont nous demander de rester sagement sous le chapiteau le temps que ça se calme, puis on repartira. Je ne vois pas d’autre issue possible. 

Certes, il y a eu ce problème sur la digue. Mais la course ne passe pas que sur la digue… La digue ce n’est que la moitié du parcours. Le reste du parcours est protégé des vagues, et un peu du vent, avec notamment les bâtiments de l’héliport, avec les arbres, et aussi le passage sous le chapiteau. 

Certes, il y avait des flaques de la taille d’un lac, mais c’était très praticable, et ne mets en aucun cas en danger les coureurs. C’est juste drôle de sauter dedans, ou d’essayer de les contourner.

Certes avec le froid arrivant, ça pouvait virer au très pénible, mais rien de dramatique pour un runner, ou un ultra runner. Parlez-en aux types qui font l’Annapurna ou le trail du Mont-Blanc. On sait depuis un moment que la pluie ne s’arrêtera pas avant demain après-midi. Ce n’est pas une nouveauté. À mon sens, tant qu’on ne revient pas sur la digue, la compétition peut continuer. 

Les coureurs sont désormais tous là. Le ministre d’État prend le micro. En quelques mots, il explique la situation météo, argumente sur le fait que l’alerte rouge météo a été lancée par le préfet, accompagné du plan ORSEC. 

Il est presque 17 h, et le ministre d’État vient de siffler la fin de la No Finish Line 2019. 

Clap de fin, sous un tonnerre de déception… 

Ainsi s’achève la No Finish Line. Ainsi tombe à l’eau cette épreuve de 24 h. Ainsi se clôture ma saison sportive. 

J’écoute les préconisations du conseiller pour l’intérieur, le chapiteau transformé en dortoir d’accueil pour ceux qui habitent loin, les recommandations pour le retour de ceux qui habitent dans le coin. Il y a une heure, j’étais dans un état de flow génial et je tournais en chantonnant. Il y a 10 minutes, je buvais un café en détaillant confiant mon plan pour la nuit. En un claquement de doigts, tout s’est arrêté. Il n’y a plus rien. Je suis passé de coureur à zombie. 

Je rejoins mon père, qui se propose de me ramener en voiture chez moi. Puis je vais me changer. Je discute deux minutes avec des gens autour de moi, tandis que je mets des vêtements secs. La sensation est douce, pourtant, je suis déception. 

Que l’on soit bien d’accord, je ne remets en aucun cas en question la décision du ministre d’État de clôturer la manifestation bien avant l’heure. Les raisons de sécurité sont primordiales, il y a déjà eu un drame, et malgré mon envie d’en découdre et de voir jusqu’où peuvent aller mes limites, je sais que c’était la seule chose à faire d’intelligent pour tout le monde. 

Car le plan ORSEC, c’est un plan qui prévoit de vider les rues pour laisser les secours libres afin d’aller au plus vite aider ceux qui en ont besoin. Avoir dans les pattes un millier de coureurs débiles à la Roseraie ne rentre pas vraiment dans ce genre de prérogatives. 

Mon père me ramène à la maison. 

Durant la soirée, ma femme avait fait le nécessaire pour pouvoir venir tourner avec moi, et me soutenir. Cela ne sera pas pour cette année. Enfin, on se soutiendra mutuellement sur le canapé, avec une bière et le film Aquaman… 

La digue, pourquoi ? 

Des heures après, des jours plus tard, au moment d’écrire ces quelques lignes, je suis toujours assailli par les questions, et par la déception. Et je cherche à comprendre. 

Je cherche à comprendre pourquoi la digue a été ouverte à midi. Il n’y avait aucune amélioration de la météo, pire cette partie du circuit était juste une détérioration des conditions de course (vent de face, pluie horizontale…) sans parler de la dangerosité évidente de ce secteur à cause de la mer démontée. De plus, au niveau du décompte final, cela ne changeait absolument RIEN, il n’y a aucune différence entre un tour de 1,4K et deux tours de 700 m. Pire, les tours de 700 m se faisaient plus rapidement que le tour de 1,4 k où l’on avait à affronter un fort vent de face. Bref, je ne comprends pas. 

J’apprendrai plus tard dans la presse que c’était pour une question de sécurité, car le petit circuit était engorgé par trop de monde… 

Euh… Foutaise ?

D’une part, il était midi, et ce n’est pas vraiment l’heure de grosse affluence sur le circuit, le weekend, c’est plutôt 10 h ou à partir de 14 h. Mais pas midi, surement pas. D’autre part, les conditions de courses étaient bonnes jusque là, si on oublie la pluie et les flaques format lac de Genève qui clairsemaient le circuit. Certes, à certains moments, j’ai du éructer le désormais célèbre « barrez vous con de mimes » du film la Cité de la peur, car la No Finish Line est aussi le seul moment où je peux me prendre pour Alain Chabat tout en ayant l’air crédible. Mais c’était beaucoup au début, quand le peloton est resserré au départ, et beaucoup moins par la suite. Je pense que le circuit est beaucoup plus dangereux, humainement parlant, le jour du départ quand il y a des centaines de personnes massées venues pour la photo, avec au milieu les coureurs des huit jours, qu’à midi ce jour-là au moment de la réouverture fatale de la digue.

Bref, je ne comprends pas, et je n’aimerais pas être dans les chaussettes du gars qui a pris cette décision hautement débile, voire même un tantinet inconsciente. 

Et maintenant, que vais-je faire ? 

Cette No Finish Line partie à l’eau, ainsi s’achève ma saison sportive. Avec 4 compétitions, deux 10k, un marathon et un ultra 24 h inachevé, on peut dire que pour quelqu’un qui en janvier ne pouvait pas poser un pied par terre sans avoir mal, c’est plutôt pas mal. 

Pas de « Giru de Natale » cette année, à cause d’obligations déménagesques, bien que cela me démange fortement. J’ai fortement envie de termine ma saison sur une meilleure note, mais ça va passer, surtout dès que je remettrai les chaussures pour aller courir. Et puis un mois de décembre de repos, ça ne fait pas de mal après un semestre entier d’entrainements et de kilomètres avalés. Car l’année 2020, celle de mes 40 ans, s’annonce sportive, avec un paquet de courses déjà au programme.

On commence gentiment avec le premier 10k de l’année, la Prom Classic, dès le 5 janvier. Puis un semi-marathon, la course du soleil (Nice-Monaco) le 2 février, puis le Monaco City Trail le 16 février. Voilà juste pour les 2 premiers mois de l’année. La suite, ça sera peut-être le semi-marathon de Nice, surement un autre marathon au cours du 2e semestre, pour finir évidemment par la No Finish Line. Mais cette année, point de 24 h. Je vais essayer d’aller chercher mon record de 253 km, de le dépasser, voire de l’exploser. En fonction des jours, je poserai surement des congés, avec objectif 300 ou 400k. On verra bien.
D’ici là, il me tarde d’être à dimanche pour rechausser mes Hoka et aller faire un petit run sympathique.  

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